Mettant fin à une impasse de deux ans et demi, l’Ontario a décidé de se joindre aux Autorités canadiennes en valeurs mobilières (ACVM) pour éliminer les fonds communs de placement à frais d’acquisition reportés (FAR).
Cette volte-face fait suite à une consultation de la Commission des valeurs mobilières de l’Ontario (CVMO) portant sur une série de restrictions possibles à l’utilisation des FAR plutôt qu’une interdiction pure et simple. Selon l’organisme de réglementation, la majorité des réponses à cette consultation demandaient à l’Ontario de suivre à cet égard l’exemple des ACVM et de se débarrasse complètement des FAR.
Dans un avis la CVMO a déclaré que les commentaires sur ses propositions « exprimaient de manière écrasante un soutien à une interdiction harmonisée des FAR ».
Les appels à l’élimination de la structure de ces fonds provenaient à la fois des investisseurs et de certains acteurs du secteur des placements. Les défenseurs des investisseurs ont fait valoir que le maintien des FAR perpétuerait une structure de rémunération qui nuit aux intérêts des investisseurs. Les membres de l’industrie qui étaient en faveur d’une interdiction craignaient que l’adoption de règles différentes en Ontario et dans le reste du pays « crée une approche réglementaire à deux niveaux, ce qui entraînerait des problèmes de conformité, serait coûteux et fastidieux à mettre en œuvre et à surveiller, et provoquerait une inefficacité du marché », a déclaré la CVMO dans son avis.
Environ 25 % des commentaires reçus par la CVMO étaient en faveur du maintien des FAR. Ce groupe de défenseurs des FAR comprenait des poids lourds de l’industrie tels qu’Invesco Canada, Fidelity Investments Canada, Placements AGF et la Corporation Financière Mackenzie, ainsi que d’autres groupes de l’industrie.
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Un thème commun à ces commentaires repose sur l’idée que le maintien des FAR préserverait le choix des petits investisseurs et leur assurerait l’accès au marché des placements et aux conseils connexes.
Bien que cet argument soit utilisé depuis longtemps pour défendre les FAR, la CVMO a souligné dans son avis que des options de placement bon marché ont vu le jour au cours des dernières années et que cela préserve les petits investisseurs d’être évincés du marché si les FAR sont éliminés.
« L’innovation dans l’industrie au cours des dernières années a ouvert d’importantes nouvelles avenues à coût abordable pour les investisseurs ayant de petits comptes », a déclaré la CVMO.
Cela laisse entendre que les organismes de réglementation comptent sur des solutions de rechange rentables – comme les robots-conseillers, les FNB de portefeuille à faible coût et les fonds sans frais – pour combler le vide créé par l’élimination des FAR.
On s’attend à ce que l’Ontario rejoigne le reste des provinces en interdisant les FAR le 1er juin 2022. À compter de cette date, aucun nouveau fonds avec FAR ne sera vendu, mais les calendriers de rachat des fonds avec FAR existants se poursuivront. Cela signifie que plusieurs années s’écouleront avant que le dernier fonds vendu avec des FAR ne disparaisse pour de bon.
Déjà, la taille et la part des actifs vendus avec l’option des FAR diminuent. Selon la CVMO, la catégorie connaît des rachats nets depuis 2016 ; l’an dernier, les fonds avec FAR ont enregistré 3,34 milliards de dollars (G$) de rachats nets.
Malgré tout, l’élimination de la structure des FAR est un événement important pour une industrie des fonds dont la croissance initiale a été alimentée par le développement des FAR à la fin des années 1980.
Il y a trente ans, l’ensemble du secteur de l’investissement comptait environ 10 G$ d’actifs sous gestion (ASG). Aujourd’hui, les fonds communs de placement approchent les 2 000 G$ d’ASG. Bien que divers facteurs soient à l’origine de cette croissance, le développement des FAR a éliminé un obstacle majeur pour les investisseurs de détail : les commissions de vente initiales élevées (jusqu’à 9 %) qui réduisaient immédiatement les investissements des acheteurs de fonds.
La structure des frais de souscription reportés a été conçue par le président de la Corporation Financière Mackenzie de l’époque, James O’Donnell. Cela constituait un moyen de permettre aux acheteurs de fonds d’utiliser immédiatement la totalité de leur investissement en éliminant la commission initiale en échange de l’engagement de l’investisseur dans un fonds pendant plusieurs années.
À l’époque, la structure des FAR était considérée comme un coup de génie qui profitait à toutes les parties. Les acheteurs voyaient tous leurs dollars investis. Les sociétés de fonds avaient plus d’argent à gérer. Les courtiers en fonds n’ont pas perdu de revenus – la source de leur rémunération est simplement passée de l’investisseur aux sociétés de fonds, transformant ainsi les courtiers en marché cible des fabricants.
Pendant des années, la structure des FAR a contribué à une forte croissance des ventes de fonds. Au fil du temps cependant, elle a perdu de sa popularité. Les défenseurs des investisseurs et les organismes de réglementation ont commencé à s’inquiéter du fait que les investisseurs pouvaient effectivement être « bloqués » dans un actif peu performant. Ils se sont également inquiétés des frais de rachat élevés auxquels les investisseurs se trouvaient confrontés en cas d’événement soudain – perte d’emploi, faillite, divorce, krach boursier ou pandémie – entraînant un besoin urgent de liquidités.
En outre, certains ont fait valoir que le coût du financement des commissions initiales versées par les fonds aux courtiers dans le cadre de la structure des FAR augmentait les coûts de gestion des fonds et freinait les rendements des investisseurs tout en créant des conflits d’intérêts pour les conseillers financiers.
L’intuition selon laquelle les FAR pourraient être préjudiciables aux investisseurs a été confirmée en 2015 par un important projet de recherche des ACVM (dirigé par Douglas Cumming, professeur de finance à l’Université York), qui a conclu que les FAR et les commissions de suivi étaient associés à des rendements attendus plus faibles.
Les failles de la structure des FAR sont devenues si évidentes qu’en 2018, les ACVM ont décidé de les interdire. Le gouvernement ontarien de l’époque a toutefois rejeté la décision des régulateurs.
Le gouvernement ontarien a même pris la décision sans précédent de déclarer publiquement son opposition aux ACVM avant que le processus de consultation publique n’ait lieu. Dans une déclaration, Vic Fedeli, alors ministre des Finances, a déclaré que l’interdiction « mettrait fin à une option de paiement pour l’achat de fonds communs de placement qui a permis aux familles et aux investisseurs de l’Ontario d’épargner en vue de la retraite et d’autres objectifs financiers ». Le gouvernement a promis d’explorer d’autres solutions qu’une interdiction pure et simple, en partant du principe que les FAR étaient nécessaires pour préserver l’accès aux placements et aux conseils pour les petits investisseurs.
Cette orientation a mené la CVMO à devoir trouver des moyens de préserver les FAR tout en répondant aux préoccupations réglementaires que suscite cette structure. À cette fin, la CVMO a recommandé une série de restrictions proposées sur l’utilisation des FAR, notamment en limitant la taille de l’investissement, l’âge de l’investisseur et la durée des calendriers de rachat.
En fin de compte, il semble que les FAR ne valaient tout simplement plus la peine que l’on se batte pour eux.