Lors d’une conférence sur « l’alimentation du futur » à la Biosphère à Montréal jeudi, Mme Marquis a offert un vibrant plaidoyer en faveur de l’agriculture régénératrice, une pratique qui gagne en popularité.
« En redonnant au sol son équilibre et sa santé, on lui donne la possibilité de produire des aliments qui, eux, vont être plus nutritifs », a indiqué celle qui est également consultante en marketing alimentaire.
La science en est encore à ses débuts concernant les bienfaits de l’agriculture régénératrice, mais dans les dernières années, plusieurs études ont en effet conclu que les légumes produits en utilisant les techniques de ce type d'agriculture sont plus riches en vitamines et minéraux que ceux produits avec les procédés agricoles modernes qui visent à augmenter le rendement des cultures, mais qui ont notamment pour effet de diminuer la santé des sols.
L’une des dernières études sur le sujet a été publiée dans la revue PEERJ en février dernier par une équipe de l’Université de Washington à Seattle, dirigée par le professeur en sciences de la Terre et de l'espace David R. Montgomery.
« Tous les vitamines et minéraux qui se retrouvent dans un légume viennent du sol qui l’a porté, qui lui a donné vie, donc plus le sol est appauvri, plus le produit qui va en résulter sera moins nutritif, donc ce que plusieurs études montrent jusqu’à maintenant, c’est qu’il y a une perte de valeur nutritive » dans la façon conventionnelle de faire l’agriculture, soutient Isabelle Marquis.
Cinq pratiques
Selon l’Institut canadien des politiques agroalimentaires, l’agriculture régénératrice se résume à cinq pratiques: planter des cultures de couverture, pratiquer la culture sans travail du sol, renforcer la rotation des cultures, diminuer l’utilisation des produits chimiques et adopter des pratiques exemplaires en matière de fertilisation, y compris l’intégration du bétail.
Les partisans de l’agriculture régénératrice soutiennent que l’agriculture traditionnelle appauvrit les sols en raison des engrais chimiques, des pesticides, mais aussi des pratiques comme le labourage qui entraînerait l’épuisement des minéraux et aussi en raison des monocultures intensives.
« Chaque plante va se nourrir de quelque chose de particulier dans le sol et quand on ne lui donne pas ses amis ou ses aides qui sont autour pour travailler en collaboration, elles se servent toujours des mêmes nutriments, ce sont les mêmes éléments du sol qui se trouvent à être pris par la plante, alors, à un moment donné, le sol s'épuise et rien ne va plus. Donc le fait qu'on ait des monocultures, ça ne nous aide pas du tout », a résumé Mme Marquis lors de la conférence organisée par Espace pour la vie.
L’agriculture régénératrice élimine également l’engraissement des animaux aux grains et donne aux ruminants que de l’herbe, en laissant les bêtes au pâturage le plus possible plutôt que de les garder à l’intérieur des étables.
« C’est une approche où on intègre tous les vivants. La santé des sols est un élément clé, mais on préserve aussi l’eau, on inclut les arbres et les plantes, la qualité de l’air. Les animaux et les insectes sont importants, ils ont un rôle à jouer dans l’équilibre des écosystèmes », a expliqué Mme Marquis à La Presse Canadienne.
« Dans des termes plus simples, la nature est la mieux placée pour savoir ce qu’on a besoin », a-t-elle résumé.
Selon la nutritionniste, non seulement l’agriculture régénératrice est bonne pour l'environnement et la santé, mais elle est aussi économiquement viable.
« Les personnes qui ont fait le virage vers l’agriculture régénératrice se rendent compte que dans la période de transition, oui, les rendements sont temporairement affectés, mais à partir du moment où l’équilibre est rétabli, les rendements remontent et peuvent être même supérieurs à ce qu’ils étaient au moment où ils utilisaient juste les intrants chimiques pour "booster" la performance de leurs sols. »
De grandes entreprises misent sur l’agriculture régénératrice
Certains géants de l’agroalimentaire ont compris le potentiel que représente cette forme d’agriculture qui respecte davantage la biodiversité.
À l’automne 2021, Nestlé a annoncé un investissement de 1,6 milliard $ dans l’agriculture régénératrice pour « protéger et restaurer l’environnement, améliorer le niveau de vie des agriculteurs et renforcer le bien-être des communautés agricoles ».
Dans un communiqué, le président du géant suisse, Paul Bulcke, avait déclaré : « Nous savons que l’agriculture régénératrice joue un rôle essentiel dans l’amélioration de la santé des sols, la restauration des cycles de l’eau et l’augmentation de la biodiversité à long terme ».
Au printemps 2021, McCain, le plus grand fabricant mondial de produits de pommes de terre surgelés, a annoncé que 100 % de sa superficie de culture de pommes de terre — représentant 149 733 hectares dans le monde — sera cultivée en utilisant l’agriculture régénérative d’ici 2030.
Le PDG de McCain, Max Koeune, avait indiqué à l’époque que la pandémie avait mis en lumière la nature précaire du système alimentaire mondial, mais que les changements climatiques demeurent le plus grand défi et que l’ensemble du système alimentaire risque de subir des « dommages irréparables » si l’industrie ne transforme pas la façon dont les aliments sont cultivés.
Unilever, Generals Mills et PepsiCo ont également fait des annonces similaires.
Plus près de chez nous, en Abitibi, un duo d’agronomes a lancé Écoboeuf, une entreprise de bœuf nourri à l’herbe dans une ferme carboneutre.
Selon le site internet du Scientifique en chef du Québec, les émissions de gaz à effet de serre émis par la production de viande de la ferme Écoboeuf « sont entièrement réabsorbées sous forme de carbone dans les sols » entre autres « en réduisant l’utilisation d’énergie fossile, mais aussi grâce à une gestion stratégique du déplacement des vaches au champ pour stimuler la croissance des plantes tout en limitant l’épuisement des sols ainsi qu’en intégrant des arbres aux pâturages ».
Toujours selon le site du Scientifique en chef du Québec, le bœuf produit dans cette ferme qui utilise les principes de l’agriculture régénératrice aurait « un goût et une qualité supérieurs ».
« Une solution » selon des rapports de l'ONU
La façon dont les ressources terrestres, sol, eau et biodiversité, sont actuellement gérées et utilisées menace la santé et la survie de nombreuses espèces sur Terre, y compris la nôtre, selon un rapport de la Convention des Nations unies sur la lutte contre la désertification (UNCCD) publié au printemps 2022.
Le rapport de l'UNCCD, Global Land Outlook 2, conclut que « de nombreuses pratiques d'agriculture régénérative ont le potentiel d'augmenter les rendements des cultures et d'améliorer leur qualité nutritionnelle tout en réduisant les émissions de gaz à effet de serre et en absorbant le carbone de l'atmosphère ».
Une autre organisation onusienne, l'Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), estime que « les pratiques agricoles non durables dégradent les sols depuis des décennies, mais l'expansion de l'agriculture est également le principal facteur de la perte de 80 % des habitats naturels dans le monde ».
La FAO considère que l'agriculture régénératrice est une des solutions pour contrer et cette situation qui menace « à la fois la santé des personnes et celle de la planète ».
Stéphane Blais, La Presse Canadienne
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