D’autre part, après les fortes pertes de janvier, les actions se sont redressées, du moins au Canada. Dès le 17 mars, le S&P/TSX a récupéré toutes ses pertes et dépassé son sommet de 21 537 du 17 janvier. L’histoire n’est pas aussi claire aux États-Unis. Le sommet de 4 793 du S&P 500 au début de janvier n’a pas encore été rejoint, bien que les actions aient travaillé dur pour se redresser, et qu’elles peinent actuellement à trouver une direction précise.
À quel côté de l’équation les investisseurs doivent-ils se fier? Vendre? Ou acheter? Yannick Desnoyers, économiste et spécialiste des obligations qui a également travaillé plus de 10 ans pour la Banque du Canada, pense que le signal est à l’achat, tout comme Philip Petursson, stratège en chef des placements chez IG Wealth Management. Voici pourquoi.
Quelle inversion de la courbe de rendement ?
L’inversion de la courbe des rendements, lorsque le rendement des obligations à 2 ans a dépassé celui des obligations à 10 ans, a été un moment traumatisant. On l’interprète généralement comme un signal annonçant une récession à venir. « Contrairement à ce qu’on croit, les inversions de la courbe de rendement n’ont pas toujours été suivies de récessions », explique Yannick Desnoyers, bien que chaque récession ait été précédée d’une inversion de la courbe.
Une inversion de la courbe des rendements est un ingrédient nécessaire pour prédire une récession, mais insuffisant en soi. D’une part, l’inversion doit se maintenir pendant un certain temps. Or, comme le souligne Philip Petursson, « celle-ci a duré à peine deux jours ».
D’autre part, Yannick Desnoyers et Philip Petursson font ressortir tous deux le fait qu’un signal de récession fiable nécessite également une hausse du chômage et un affaiblissement tangible de nombreux indicateurs économiques avancés, tels que les mises en chantier, les commandes de nouveaux équipements, les niveaux du commerce international, les stocks de détail, etc. En dehors d’une inversion transitoire de la courbe des taux, rien de ce qui précède ne tient.
Mais même l’inversion de la courbe des taux est un indicateur inadéquat en ce moment, explique Yannick Desnoyers. « L’inclinaison de la courbe est déformée par la Réserve fédérale qui achète des masses d’obligations » par la voie de son programme d’assouplissement quantitatif. Pour annuler cette distorsion, il faudrait corriger la courbe d’environ 90 points de base. « Sans l’assouplissement quantitatif, les rendements à 10 ans seraient supérieurs de 90 points de base, ce qui annulerait l’inversion de la courbe », ajoute-t-il. En effet, une telle correction élargirait considérablement l’écart entre les rendements à 2 ans et à 10 ans, annulant ainsi tous les signaux de récession.
Pour Yannick Desnoyers, la prédiction d’une récession par le marché obligataire est erronée, car elle ne corrige pas l’effet de l’assouplissement quantitatif.
Une récession, oui, mais plus tard
Cela ne veut pas dire qu’une récession ne s’annonce pas à l’horizon, ajoute Yannick Desnoyers, mais elle pourrait ne pas se manifester le mois prochain, ni même l’année prochaine. Philip Petursson ne la prévoit pas avant 18 mois. Mais elle surviendra inévitablement, croient-ils tous deux — et elle sera délibérément provoquée par la Réserve fédérale américaine qui attend trop longtemps pour commencer à relever les taux afin de compenser l’inflation.
Pour corriger l’inflation, la Fed doit ramener les taux d’intérêt réels (la différence entre les taux nominaux et le taux d’inflation) en territoire positif. Actuellement, ils sont en territoire très négatif, à -5,85 %, souligne Yannick Desnoyers, qui note qu’on n’a pas vu ça depuis la Deuxième Guerre mondiale. Pour commencer à ramener les taux du côté positif, la Fed devra augmenter son taux directeur à au moins 3,5 % — si l’inflation retombe à environ 3 %.
Nous en sommes loin, et le marché boursier semble le savoir. Si la Fed et la Banque du Canada suivent leur plan annoncé, les taux n’auront augmenté que de 2 % à la fin de 2022, ce qui laisse encore beaucoup d’espace aux marchés boursiers.
La hausse actuelle des taux ne trouble pas David Sekera, stratège en chef des marchés américains chez Morningstar. « Nous ne faisons que revenir à des niveaux normalisés », dit-il, en prévoyant que l’inflation reviendra à 3 % d’ici la fin de 2022.
« Tant que la hausse des taux reste graduelle, les conditions ne devraient pas représenter un grand vent contraire pour le marché boursier », ajoute David Sekera. Ce n’est qu’une hausse précipitée par les banques centrales « qui pourrait inquiéter les marchés boursiers », poursuit-il, mais ce n’est pas une préoccupation majeure pour lui.
Selon Yannick Desnoyers, la récente réévaluation du prix des actions n’était pas vraiment due aux craintes de récession des investisseurs, mais simplement au fait qu’ils anticipaient la hausse des taux alors que le marché obligataire commençait à redevenir compétitif. Les investisseurs ont donc commencé à réviser les ratios cours/bénéfices attendus. En effet, « avec l’inflation, les marges vont beaucoup augmenter puisque les entreprises vont pouvoir répercuter les prix sur les consommateurs qui continuent tout simplement à acheter. »
Le moment d’acheter
Alors, achetez. Quoi? Des titres de valeur avant tout, « qui ont de bons vents arrière pour le reste de l’année », déclare David Sekera, qui privilégie certainement l’achat à la vente à ce stade, ajoutant: « Les actions de grande et moyenne capitalisation sont assez bien valorisées en ce moment, tandis que les petites capitalisations sont sous-évaluées. » Et maintenant, les valeurs de croissance présentent de nouvelles opportunités : « Elles sont assez bien valorisées à ce stade et ne sont pas loin derrière les valeurs de rendement. »
Mais les investisseurs « doivent conserver un portefeuille équilibré », note David Sekera. Et cela signifie qu’ils doivent également acheter des obligations. « Dans un environnement de hausse des taux, le meilleur endroit se trouve au milieu de la courbe des taux, autour des échéances à 5 ans. » Les investisseurs devraient également garder un œil sur les obligations à haut rendement, « un autre domaine avec lequel je suis à l’aise, poursuit David Sekera. Elles se sont redressées ces dernières semaines en même temps que le marché boursier, sachant que le PIB devrait croître de 3,5 % cette année et de 3 % l’année prochaine. C’est positif pour les obligations à haut rendement, car cela permet de maintenir les défaillances à un niveau assez bas et d’augmenter le nombre de hausses des cotes de crédit. »